dimanche 22 septembre 2013

Derrière l’attentat de Nairobi

L’attentat islamiste qui a ensanglanté Nairobi le 21 septembre 2013 est le dernier d’une longue série[1]. Même si les réseaux jihadistes en sont les responsables, il cache le jeu complexe qui se joue actuellement dans cette partie de l’Afrique et qui dépasse l’habituelle dénonciation de l’ « ennemi de confort » islamiste. Quatre points méritent d’être mis en évidence : 

1) La Somalie est en guerre depuis 1991 après que, au nom des « droits de l’homme » et de la démocratie postulée salvatrice, la communauté internationale eut applaudi le renversement du général Syad Barré, autocrate certes, mais seul capable de maintenir l’unité de ce conglomérat de clans baptisé Somalie. Depuis, tout y fut tenté pour y rétablir la paix : interventions militaires directes puis indirectes des Etats-Unis suivies de celles de l’ONU, de l’Ethiopie, des Etats africains, puis enfin du Kenya. Sur ce terreau propice, se sont développés les jihadistes dont, mais pas exclusivement, les Shabaab. Ils sont soutenus à la fois par l’Erythrée qui continue à mener sa guerre indirecte contre l’Ethiopie, et par certaines pétromonarchies qui pensent acheter leur survie en subventionnant le terrorisme.

2) Depuis le mois d’octobre 2011, l’armée kenyane mène la guerre en Somalie, officiellement afin de protéger la partie nord de son territoire de la contagion terroriste. Cette intervention s’est faite à la suite de l’enlèvement de touristes au Kenya par les Shabaab somaliens. Comme le tourisme est sa seconde source  de devises, le Kenya ne pouvait pas ne pas réagir.

3) Dans tout le nord du Kenya, la contagion islamo-tribale somalienne est réelle. La région est en effet peuplée de Somali de la grande tribu Darod, cette dernière localement éclatée en trois  clans : les Ogadeni à cheval sur la frontière Kenya-Somalie, les Majertein dans la région de Kismayo et les Maheran au Nord, dans le triangle des trois frontières Somalie-Kenya- Ethiopie. Ce continuum ethnique transfrontalier est naturellement hautement crisogène.

4) L’évacuation du pétrole du Sud-Soudan et du lac Albert doit se faire par un pipe-line qui aboutira à Lamu dans le nord du Kenya, ce qui fera de la région un terminal pétrolier essentiel pour les puissances asiatiques. Or, comment assurer la sécurité de cette zone si le sud de la Somalie et le nord du Kenya sont emportés par les troubles ?
  
Derrière la lutte contre le terrorisme islamiste, l’intervention militaire du Kenya en Somalie cache une tentative de faire du Jubaland une zone tampon, un quasi « protectorat ». Ce territoire que Londres retira au Kenya en 1925 pour le rattacher à la Somalie italienne en compensation de l’entrée en guerre de Rome aux côtés des Alliés durant la première guerre mondiale, a toujours été considéré par Nairobi comme une partie du Kenya. D’autant plus que la région contient d’importantes réserves de pétrole off shore.

Le prochain numéro de l’Afrique Réelle que les abonnés recevront début octobre contiendra un dossier illustré de cartes  consacré à cette question. 

Bernard Lugan
22/09/2013

[1] Le 24 octobre, une grenade fut lancée dans une discothèque Nairobi ; au mois de décembre 2011, de nombreuses attaques se produisirent dans le nord du Kenya, le dimanche 30 septembre 2012, une église de Nairobi fut attaquée, le 1°juillet 2013, 17 morts furent à déplorer dans l’attaque de deux églises à Garissa près de la frontière avec la Somalie, etc.

4 commentaires:

  1. Nous savons qui tirent les ficelles à vouloir faire se développer l'islamisme. Mais silence, motus bouche cousue, c'est l'omerta. Mais interdit d'y toucher sinon ont n'est traité de raciste machin.............

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  2. On notera également que, sans nécessairement penser à mal mais en se souvenant de l'extraordinaire richesse du jeu tribal au Kenya, le président et le vice-président sortent renforcé de cette crise, par le simple fait qu'ils deviennent incontournable dans la lutte contre le terrorisme local. La Court Pénale Internationale va peut-être relâcher sa pression maintenant...
    Quant au pipe-line vers la côte, l'option Lamu reste la plus courte mais aussi la plus sensible comparée au projet vers Mombasa. Si ce pipe line reste hors de portée en terme de rentabilité, il est par contre vital pour le Sud-Sudan en terme politique (le pétrole est actuellement évacué via le Sudan)

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  3. Triste nouvelle. Et si on parlait des succès africains ? http://www.yesafricacan.com

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  4. Mais pourquoi donc tracer ce corridor le long de région aussi dangereuses? Il serait possible techniquement de le prolonger plus au Sud depuis le Sud Sudan vers l'Ouganda et le Kenya du Sud-Ouest, il pourrait ensuite passer par Mombasa qui est déjà un grand port. Ou alors le prolonger jusqu'en Tanzanie et Dar es Salaam et reprendre les plans des ingénieurs allemands du début du XXème siècle? Le tracé par la frontière somalo-kenyane est étrangement irréaliste.

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